

Soyons Lucides
Les membres fantômes
On dit souvent qu'un artiste se révèle à la suite d'un choc émotionnel, d'un accident de parcours, d'une blessure.
Notre Président, lors de son allocution, nous a annoncé qu'un possible dé-confinement progressif pouvait avoir lieu le lundi 11 mai 2020. Et après ? Quel sera l'après ? Comment se reconstruire et reconstruire le pays ? Certains ont été fortement atteints par la perte d'un ou plusieurs proches. D'autres sont très affaiblis, voire anéantis économiquement. Enfin, d'autres encore, on subit les deux avaries, une morale et une économique, de concert.
Mais alors, comment s'en remettre ? Comment repartir ? D'abord collectivement, en se serrant les coudes, en pensant à l'autre. En soupesant nos actions pour vérifier, que si elles sont profitables pour nous même, quelles ne soient pas préjudiciable pour autrui au minimum. Ensuite et en même temps, nous devons nous reconstruire de manière individuelle.
La science physique a modélisé la capacité d'un corps à résister à un choc et à reprendre sa structure initiale. Cela s'appelle la résilience. Il existe la même notion en psychologie, appelée également la résilience. Cette aptitude consiste à prendre conscience d'un traumatisme, moral (perte d'un être cher, brimades, harcèlement...) ou physique (accident, enfant ou femme battu, perte d'un membre), à l'accepter et à délivrer de la souffrance par la pensée et par l'action. La résilience existe aussi en art. Comme l'art du kintsugi, l'art traditionnel japonais qui consiste à réparer un objet cassé en soulignant ses cicatrices avec de l'or au lieu de les cacher. Il est souvent utilisé comme métaphore de la résilience en psychologie et en développement personnel. Il existe aussi l'art thérapie, très usitée actuellement, qui consiste à exprimer son affliction à travers une activité artistique.
Ils existent beaucoup d'exemples de créatifs qui ont souffert et qui sont des créatifs immensément reconnus. Frida Khalo, Robert Schumann, Camille Claudel par exemple ont connu des souffrances physiques ou psychologiques. Quelle que soit l'origine de la souffrance, elle apparaît souvent avec les habits de la folie. On utilise souvent ce qualificatif pour les créatifs. Au mieux, on dira de vous que vous êtes un original. Gentil mais original. Le plus souvent, on vous qualifiera de fou. Mais être fou, fait-il de vous un créatif de génie?
Ce qui fera de vous un créatif de génie, c'est la folie de la lucidité. Lucide d'abord sur les causes de la souffrance ressentie.
Aussi loin que remontent ses souvenirs, Vilayanur Subramanian Ramachandran (né en 1951) neuroscientifique indo-américain de renom, a toujours été passionné par tous les phénomènes bizarres de la nature. Il commença tout jeune une collection des plus curieux coquillages ramassés sur la plage de Madras, près de chez lui. En grandissant, il tourna sa passion des phénomènes anormaux vers la chimie, l'astronomie et l'anatomie humaine. Dans les années 1980, il devint professeur de psychologie de la perception visuelle à l'université de Californie à San Diego; il tomba sur un phénomène qui interpellait vivement son goût pour les exceptions: le syndrome dit du membre fantôme. En effet, les amputés continuent à souffrir et à ressentir des sensations dans leur membre coupé. Dans ses recherches en tant que psychologue en perception visuelle, Ramachandran s'était spécialisé dans les illusions d'optique : les cas où le cerveau interprète de façon erronée les informations que les yeux lui transmettent. Les membres fantômes représentant une illusion à bien plus grande échelle, le cerveau fournit des sensations là où il n'y en a pas. On apprendra par la suite, grâce à ses travaux d'une extrême simplicité, que seul lui aurait pu mettre en place de par son parcours et par association d'idées (très important en créativité), qu'en fait le cerveau avait déplacé les connexions sur la joue car la nature ne supporte pas le vide. Sachant cela, Ramachandran a aidé ses patients à prendre conscience du mauvais nouveau paramétrage sensoriel et à paramétrer de nouveau leur cerveau et ainsi supprimer la douleur. Ils ont ainsi retrouvé une certaine lucidité de leur environnement.
Être lucide, c'est voir plus clairement, avec une meilleure netteté, en concevant plus clairement les questions. Là où vous voyez un buisson, le peintre voit une succession de couches de différents verts du plus sombre au plus clair. Là où vous voyez un nuage, le peintre voit une succession de couches de couleurs allant du gris/bleu au blanc. Là où vous voyez un logo, le graphiste voit une succession de cercles. Un peu à la manière du film de Luc Besson, où Lucie (Scarlett Johansson) ne voit le monde que comme des cordes qui vibrent, le créatif, hyper-sensible, vibre au diapason de son environnement et peu « deviner » ce que les « non-créatifs » ne voient pas, les fameux signaux faibles dont je parlais dans la précédente newsletter. Vous me suivez ?